Emotions…

Il est comme ça des semaines chargées en émotions, quelques jours de concentré d’humanité qui conjuguent quelques questions sur l’existence.

Hier, j’écoutais un passionné de tango argentin parler de cette danse en disant qu’elle doit allier la puissance, la fluidité et la présence. Un ami à la fois passionné de vin et de tango me faisait remarquer que c’était la définition d’un grand cru. A méditer aussi comme philosophie de la vie !

Vendredi, j’ai eu l’occasion de déguster deux vins de Bourgogne de millésimes que je pensais oubliés à tout jamais et qui avaient disparu de ma cave depuis longtemps ; il s’agissait des millésimes 1986 et 1984. « Avec le temps va tout s’en va » disait Léo Ferré ; j’ai plutôt pensé que tout pouvait aussi revenir et qu’il était bon de ne pas avoir de jugement définitif.

Le même jour, après plus de 20 ans d’organisation de dégustations à l’aveugle, j’ai réuni une vingtaine de passionnés (inscrits depuis plus d’un an !) pour découvrir tous les grands crus rouges du Domaine de la Romanée Conti accompagnés de quelques illustres voisins. C’était à la fois un grand moment de partage et une sorte d’aboutissement même si la vie continue après… Le moment où j’ai ressenti le plus d’émotion, c’est quand j’ai débouché les bouteilles et que je les ai « respirées », seul, pendant une demie-heure. Les vins n’ont jamais été aussi grandioses pour moi qu’à ce moment là ! Quel plaisir dans la diversité, du plus fruité au plus profond et avec tellement de nuances ! C’était tellement extraordinaire que je ne me suis même pas aperçu que l’une des bouteilles était bouchonnée ! A ma décharge, je crois que le passage dans le verre peut révéler ce genre d’inconvénient. Je me suis demandé ensuite comment je pouvais aspirer autant à partager ma passion du vin et prendre autant de plaisir seul. C’est l’une des grandes questions qui me restera après cette dégustation exceptionnelle.

Mercredi, Mozart a empli beaucoup plus que mes oreilles avec la sublime interprétation du Requiem sous la direction de Theodor Guschlbauer. Je pensais à tous ceux qui ont pris une place dans ma vie et qui ne sont plus là, à ce que la mémoire nous ramène sans violence et sans que l’on y prenne garde, et je me plaisais à imaginer Mozart en train de déguster un Richebourg…

Lundi, je relisais mes notes de dégustation d’une verticale de Clos de la Roche organisée en hommage à Romain Lignier. J’ai véritablement eu une révélation pour ses vins l’année dernière en dégustant certains de ses 2002, des vins d’une rare perfection qui, à mon avis, peuvent servir de modèle aux futures générations de nouveaux vignerons.

Le même jour, j’apprenais en lisant le site internet dégustateurs.com, la disparition de Denis Mortet, vigneron à Gevrey Chambertin parmi les plus connus de Bourgogne. Beaucoup de passionnés du vin ont été bouleversés par cette terrible nouvelle renvoyant chacun à ses interrogations. Même si l’on sait qu’une goutte peut faire déborder un vase, qu’est-ce qui fait que le vase est vraiment plein et pourquoi une goutte à ce moment là ? Je ne pense pas que l’on puisse faire un vrai choix de disparaître quand on ne peut échapper à ce qui nous submerge, entre l’intérieur et l’extérieur.

Il y a un mois, je pensais vous livrer un billet d’humeur avec mes meilleurs vœux pour la Bourgogne, quelque chose autour de ses vins inimitables. Cela reste sans doute toujours d’actualité mais je dois aussi reconnaître que si le vin peut apporter beaucoup au corps et à l’âme, il ne prémunit pas de tout ; mais s’il ne devait rester qu’une qualité entre la puissance, la fluidité et la présence, c’est cette dernière que je souhaite à chacun.

Martial Jacquey
Passionné de vin
Le 05 février 2006